PAROLE D’EXPERT
COMPRENDRE LES MÉTAUX
Le cuivre, le couteau suisse des technologies bas carbone

Gérante matières premières
OFI INVEST ASSET MANAGEMENT

Directeur des gestions matières premières
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- Symbole atomique : Cu
- Point de fusion : 1 085 °C
- Production minière en 2024 : 22,88 millions de tonnes
Production de cuivre raffiné : 27,6 millions de tonnes(1) - Consommation annuelle 2024 : 27,33 millions de tonnes
- Propriétés : conducteur électrique et thermique, ductile et malléable, antimicrobien, durable et résistant à la corrosion, recyclable sans perte de propriété
Le cuivre se trouve dans la croûte terrestre sous diverses formes : minéraux sulfurés, oxydés, et existe même à l’état « natif ». Il est même naturellement présent dans l’organisme des êtres humains, des animaux et des végétaux !

Le cuivre a très tôt été découvert par les hommes puisqu’il apparaît dès la Préhistoire et correspond au premier métal connu dans l’histoire de l’Humanité. Il est vite maîtrisé pour une utilisation au quotidien, et est depuis sa découverte indispensable à la vie des hommes.
Il possède en effet des propriétés particulièrement intéressantes. Son excellente conductivité électrique, seulement surpassée par celle de l’argent, en fait un métal indispensable à l’électrification des usages.
Le cuivre est aussi extrêmement malléable et ductile : il peut être travaillé et étiré, ce qui permet de le transformer en plaques, tubes, fils, et explique qu’il soit omniprésent dans le domaine industriel.
Enfin, sa résistance à la corrosion est exemplaire puisque l’eau ou les produits chimiques ne parviennent pas à l’attaquer. Cette dernière propriété lui confère une grande longévité.
Il est ainsi présent dans une quinzaine de secteurs différents, dont le logement, le chauffage et la climatisation, l’électroménager et l’électronique, ainsi que les télécommunications. Métal d’électrification par excellence, ses extraordinaires capacités en font le matériau essentiel au virage que nous avons entrepris pour lutter contre le réchauffement climatique, la transition énergétique.
Il est aussi au centre de ces enjeux de taille que sont la digitalisation, l’essor de l’intelligence artificielle, et les besoins colossaux de production, stockage et transport d’électricité qui y sont associés. Nous verrons ainsi comment le métal rouge voit ses usages se multiplier, et dans quelle mesure la demande de cuivre est vouée à accélérer dans les années à venir.
Le corps humain adulte contient 100 mg de cuivre.
Excellente nouvelle : pour atteindre l’apport journalier de 2 mg/jour recommandé par l’OMS, il faudrait manger :
- environ 100 g de chocolat par jour,
- du foie de boeuf (39 mg/kg),
- des huîtres,
- des légumes secs (9 mg/kg).
Nous verrons également quels défis majeurs accompagnent sa production, aujourd’hui rattrapée par un ensemble de lois physiques, de contraintes opérationnelles, et de tensions politiques. Tout cela permet d’appréhender l’ampleur des tensions dont le marché du cuivre pourrait faire l’objet dans les années à venir, du fait d’une demande en forte hausse, d’une offre contrainte, et de la concentration géographique de cette ressource essentielle.
LES USAGES DU CUIVRE
Meilleur conducteur d’électricité après l’argent et beaucoup moins cher, le cuivre décline ses usages dans de nombreux secteurs de notre monde moderne. Les utilisations électriques du cuivre en sont la source de demande principale : production et transmission d'électricité, câblage, télécommunications, produits électriques et électroniques représentent environ 75 % de la consommation totale de cuivre(2).
Mais il entre aussi dans la fabrication des équipements et infrastructures de transport, de machines industrielles et possède une grande variété d’autres applications parfois moins connues du public.

On trouve aussi le métal rouge dans les moteurs électriques, les transformateurs et les générateurs, où sa conductivité et sa résistance à la chaleur sont essentielles.

Le cuivre est également utilisé dans les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation en raison de sa capacité à transférer la chaleur efficacement.


UNE MULTITUDE D’USAGES, en réalité, parfois moins connus du public :
- Le cuivre est antimicrobien, certains revêtements pouvant tuer plus de 99,9 % des bactéries en moins de 2 heures. Il constitue une alternative au plastique dans les applications médicales.
- Il permet de dissiper l'énergie sismique – les dommages causés par les tremblements de terre peuvent être atténués grâce à l'utilisation de dispositifs à base de cuivre qui absorbent l'énergie pour limiter les mouvements des bâtiments.
- De nouveaux composants électroniques en cuivre, ultra conducteurs, promettent d'importantes améliorations de l'efficacité des réseaux de transport et de distribution d'énergie électrique.
Grâce à son esthétique et à sa couleur unique, le cuivre est utilisé pour la construction de façades, de portes… et de certains ornements.
QUI CONSOMME LE PLUS DE CUIVRE ?... LA CHINE !
La décennie 2010 a marqué une impressionnante accélération de la consommation de métaux de la part de la Chine. Le cuivre n’y fait pas exception : elle consomme annuellement près de 60 % de la demande mondiale, contre 10 % en 2000(3). Cela reflète le formidable essor économique de la Chine et du continent asiatique, d’autant plus consommateur de métaux qu’il s’est traduit par un développement industriel, immobilier et d’infrastructures intense au cours de ces trois dernières décennies.

Aujourd’hui, les moteurs de développement traditionnels de la Chine ont fortement ralenti : industrie lourde, infrastructure sont plus matures, tandis que le secteur immobilier, endetté et en surcapacité dans un contexte de vieillissement démographique, peine à se stabiliser après une phase de crise profonde. Ce déclin de l’industrie chinoise a eu de lourdes conséquences sur la demande de cuivre du pays : le seul secteur de la construction en Chine a consommé 2 millions de tonnes de cuivre en 2024, un chiffre en déclin de 30 % depuis le plus haut atteint en 2021(4).
Cependant, la situation en Chine a connu un développement très intéressant, représentatif de la véritable révolution actuellement à l’oeuvre sur le marché du cuivre.
En effet, malgré le déclin de ces secteurs industriels, la demande de cuivre en Chine a continué de croître ces dernières années. Cela vient du fait que les nouveaux usages du cuivre, liés à l’émergence de nouveaux secteurs notamment de la transition énergétique, ont explosé et remettent aujourd’hui en question les grands équilibres de ce marché.
UN LIEN ÉVIDENT À LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Pour tenter de contrer le changement climatique à l’oeuvre, de limiter la hausse des températures et ses conséquences dramatiques sur les écosystèmes comme les activités humaines, nous devons réduire au maximum l’extraction et l’usage des énergies fossiles. Celles-ci représentent encore aujourd’hui 82 % de notre consommation d’énergie primaire, et sont responsables de 70 % des émissions de gaz à effet de serre(5). Rappelons qu’en la matière, le changement s’impose à nous : ne rien faire, et laisser le réchauffement atteindre 5 ou 6 degrés, pourrait coûter 50 % du PIB mondial entre 2070 et 2090(6). Nous n’avons donc pas le choix que de faire cette transition, et de la faire vite…
Si nous devons nous débarrasser des énergies fossiles, il nous faut en revanche poursuivre et accélérer le déploiement des sources d’énergies moins carbonées à notre disposition, au premier plan desquelles les énergies renouvelables. Le développement massif de l’éolien, du secteur photovoltaïque, de l’hydroélectricité et du nucléaire font partie des solutions les plus faciles à mettre en oeuvre. Outre la production d’énergie primaire, l’électrification des transports représente une solution permettant de sortir de la dépendance de nos véhicules aux énergies fossiles.
Tous ces nouveaux secteurs ont un point commun : leur intensité métallique surpasse de loin celle des sources de production et d’utilisation des énergies fossiles.
Parmi ces matériaux indispensables, le cuivre est peut-être le plus emblématique de tous les métaux utiles à la transition énergétique. Très bon conducteur d’électricité, il est utilisé pour capter, transmettre et stocker l’énergie dans presque toutes les technologies bas carbone.
IMPLIQUE UNE AUGMENTATION SIGNIFICATIVE DE LA DEMANDE DE MINÉRAUX
(minéraux utilisés dans certaines technologies d'énergie propre)

PHOTOVOLTAÏQUE
Le cuivre joue un rôle important dans les équipements d'énergie renouvelable. Il est en effet non seulement un très bon conducteur d'électricité, mais il excelle également dans la conduction thermique. Cette capacité à transférer efficacement la chaleur est aujourd'hui utilisée dans les panneaux solaires : le cuivre est un composant essentiel de leurs échangeurs de chaleur, contribuant ainsi à capter et à transporter l'énergie. Le câblage électrique en cuivre est également utilisé pour transmettre l'électricité captée par les cellules solaires. Au total, on estime qu'une centrale solaire consomme entre 2.5 et 7 tonnes de cuivre par mégawatt de capacité installée(7).
ÉOLIEN
Le cuivre est tout aussi important dans la production d'énergie éolienne : une turbine typique de 660 kW en contient environ 350 kg(7).
Dans l'alternateur, le cuivre est utilisé pour convertir l'énergie mécanique captée par le vent en énergie électrique.
On trouve également des bobines de cuivre dans les transformateurs, responsables de la variation de tension de l'énergie.
Les parcs éoliens offshore sont connus pour utiliser encore plus de cuivre que les centrales terrestres en raison du câblage supplémentaire nécessaire pour acheminer l'énergie jusqu'à la côte.
Une éolienne contient, selon sa taille, entre 1 et 5 tonnes de cuivre.

Un véhicule électrique contient environ 4 fois plus de cuivre qu’un véhicule thermique classique : chacune en contient de 80 kilos à 100 kilos, contre environ 20 kilos pour un véhicule thermique.

VÉHICULE ÉLECTRIQUE
Le cuivre est aujourd’hui présent en grande quantité dans les batteries des véhicules hybrides et électriques. Des câbles en cuivre haute performance assurent un transfert d'énergie rapide de la batterie au moteur. Les fils électriques en cuivre sont également largement utilisés dans les stations de recharge, leur excellente conductivité permettant une charge efficace.
LE RÉSEAU ÉLECTRIQUE, GÉANT DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Véritable épine dorsale de la transition énergétique - ainsi que de nos usages actuels de l’électricité et la digitalisation des économies - les besoins de développement du réseau électrique sont souvent ignorés. Pourtant, ce secteur est déjà à lui seul responsable d’une hausse massive de la demande de cuivre. Dans les parcs éoliens comme pour les panneaux solaires, de vastes réseaux de fils de cuivre sont utilisés pour transmettre et distribuer l'énergie aux réseaux locaux.
Stations de charge pour véhicules électriques, électrification des sites industriels, toutes ces nouvelles installations nécessitent d’être raccordées au réseau. Celui-ci devra donc être massivement déployé pour tenir compte de la décentralisation de la production à venir.
Les besoins d’investissement dans le réseau électrique ne s’arrêtent pas aux nouvelles installations : le réseau actuel est souvent vétuste, avec de pressants besoins de renouvellements. Prenons par exemple le réseau électrique américain : vieux en moyenne de 60 ans, mais de plus d’un siècle dans certains États, il est notoirement vulnérable aux événements météorologiques extrêmes. Cette situation a déjà causé la défaillance du système lors d’un hiver rigoureux au Texas en 2021, ou lors des récents départs d’incendies en Californie, avec de terribles conséquences. Sans parler du fait que le réseau classique n’est pas adapté à l’intermittence propre aux énergies renouvelables et devra donc être modernisé.
Les autorités sont conscientes de ces enjeux et les projets s’accélèrent dans le secteur. Ainsi aux États-Unis, les investissements annuels devraient croître d’une moyenne de 103 milliards de dollars par an entre 2020 et 2023 à 145 milliards de dollars par an entre 2024 et 2027(8), soit une hausse des dépenses d’investissements de 40 % sur la période. En Chine, les investissements dans le réseau permettent de l’étendre et d’en faire un réseau connecté (smart grid), à même de gérer l’intermittence et les variations de besoins en électricité. Le gouvernement chinois y a investi 80 milliards de dollars en 2023, 80 milliards en 2024, et 89 milliards en 2025(9).
L’Agence International à l’Énergie estime que d’un réseau actuel mondial long de 70 millions de kilomètres, il faudra voir sa taille doubler à 150 millions de kilomètres pour répondre aux nouveaux besoins… soit la distance entre la Terre et le Soleil !

LA RÉVOLUTION DIGITALE
L'importance du cuivre est notoire dans les domaines de la construction, des appareils électriques ou des énergies renouvelables. Mais au-delà de l’économie traditionnelle et de la transition énergétique, d’autres transformations profondes sont en cours, cette fois dans le domaine du numérique. Il est donc nécessaire de se pencher sur la façon dont la numérisation de notre monde, elle aussi, accroît massivement les besoins en cuivre.
Les progrès spectaculaires de l'IA(10), de l'Internet des objets(11) et du cloud computing(12) entraînent une demande sans précédent en matière de stockage de données et de puissance de traitement. Cette forte croissance alimente le développement des centres de données (data centers(13)) dans le monde entier, véritables piliers de notre économie numérique.
Le cuivre est essentiel au bon fonctionnement des data centers et joue un rôle crucial dans le câblage électrique, leurs systèmes de refroidissement et l'infrastructure réseau. Sa conductivité et sa fiabilité le rendent indispensable au maintien des performances et de la disponibilité élevées requises par ces installations.
La compagnie minière BHP(14) estime ainsi que la seule demande de cuivre liée à l’IA atteindra 3,4 millions de tonnes par an d’ici à 2050, en grande partie du fait des besoins en data centers, en puces électroniques et en microprocesseurs. En effet, la complexité des algorithmes sousjacents à l’IA exige une grande puissance de calcul. Cela doit se traduire par des puces informatiques très performantes et une grande quantité de cuivre à la fois dans le but de conduire l’électricité et de dissiper la chaleur efficacement dans les data centers où sont stockées et traitées les données. Ainsi d’après BHP, la consommation de cuivre par les seuls data centers atteindrait 7 % de la demande mondiale d’ici 2050. Cette augmentation équivaut à peu près à la production annuelle combinée des quatre plus grandes mines de cuivre du monde aujourd'hui.
Nous l’aurons compris : l’électrification des usages est un phénomène qui connait aujourd’hui un déploiement massif. La part de l’électricité dans la consommation d’énergie mondiale devrait passer de 20 % en 2023 à 50 % en 2050, d’après l’Agence Internationale à l’Énergie(15).
La demande de cuivre liée à l’électrification ne cesse ainsi d’augmenter : elle représentait ainsi 40 % de la consommation annuelle de cuivre en 2023, et devrait atteindre 44 % en 2025(16).

DR COPPER EST MORT, LONGUE VIE À DR GREEN !
Nous l’avons vu : le cuivre est avant tout un métal de développement économique, du fait de son caractère central dans des secteurs comme la construction, l’infrastructure, les transports, l’électrification ou encore les biens électroménagers. Sa consommation est donc historiquement liée à l’activité économique, à tel point que les économistes ont surnommé le métal « Dr Copper » : l’évolution de la demande de cuivre et son prix aident à poser un « diagnostic » sur la santé de l’économie mondiale. Depuis des décennies, la demande augmente donc naturellement en suivant le rythme de croissance des économies, soutenue, même dans les pays plus matures, par la poursuite des constructions et des innovations.
(milliers de tonnes métriques de cuivre)

Aujourd’hui, cette relation est profondément modifiée par l’essor des nouveaux usages du cuivre, qui réduisent la relation de dépendance entre consommation de cuivre et cycle économique.
Ce phénomène s’est illustré de façon spectaculaire ces dernières années en Chine. En 2024, le pays, marqué par l’épidémie de Covid 19 et l’implémentation de la politique « zéro Covid » du gouvernement, plombé par un secteur immobilier en crise, connait un ralentissement qui touche en priorité les secteurs industriels et de la construction. Cela se traduit par un fort recul de la consommation de cuivre lié à ces secteurs : la demande de cuivre liée au secteur de la construction diminue de 10 % sur l’année(17).
Dans le même temps, la Chine accélère le développement des nouveaux secteurs liés à la transition énergétique : photovoltaïque, éolien, véhicules électriques… L’essor de ces nouveaux secteurs est tel qu’il engendre alors une demande de cuivre très importante, au point que la demande chinoise de cuivre raffiné affiche au total une croissance de 4 % sur l’année. La nouvelle demande a ainsi plus que compensé le déclin des secteurs traditionnels ! Ceci constitue un changement majeur pour le marché : la corrélation entre cuivre et activité économique s’affaiblit au profit d’une demande plus structurelle, en forte hausse et qui s’installe dans la durée.
Nous pensons que la méga tendance à l’électrification devrait ainsi continuer à transformer la demande de cuivre : elle sera responsable de la quasi-totalité de la croissance de la demande jusqu'en 2030. Le réseau électrique à lui seul devrait représenter plus de 50 % de cette croissance, ajoutant l'équivalent d'un autre pays comme les États-Unis à la demande mondiale de cuivre(17).
A-T-ON ASSEZ DE CUIVRE ? POURQUOI PRÉVOIT-ON DES TENSIONS ?
LES RÉSERVES, LES RESSOURCES
Pour répondre à cette question, il faut se pencher sur les réserves et les ressources en cuivre de la planète.
On appelle réserves les gisements qui ont été découverts, évalués et jugés technologiquement et économiquement rentables à exploiter. Les ressources sont bien plus importantes et comprennent des réserves, des gisements découverts potentiellement rentables en cas de hausse des prix ou de rupture technologique et des gisements non découverts mais anticipés sur la base d'études géologiques préliminaires.
Selon l’Institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), les réserves de cuivre s’élèveraient à environ 1 000 millions de tonnes (Mt) en 2023. Les ressources de cuivre identifiées et non découvertes ont été estimées en 2015 à environ 2 100 Mt et 3 500 Mt respectivement(18). Ces dernières estimations ne tiennent pas compte des ressources en cuivre identifiées dans les fonds marins, difficilement exploitables à l’heure actuelle.

Il y a donc, théoriquement, assez de cuivre dans le sol pour assurer nos besoins présents, et surtout futurs. Cependant, l’essentiel des ressources existantes seraient amenées à être utilisées pour accomplir la transition énergétique, dont les technologies très consommatrices de cuivre devraient en faire exploser la demande.
L’Institut Français du Pétrole et des Énergies Nouvelles (IFP-EN) estime ainsi que même avec un taux de recyclage élevé (de l’ordre de 40 %), nous pourrions avoir consommé en 2050 plus de 90 % des ressources prouvées de cuivre actuelles(19). À moins de percées technologiques d’envergure dans les méthodes d’extraction, il faudra que le prix du cuivre monte sensiblement pour que les réserves continuent de progresser.
La vraie question est en fait celle-ci : peut-on extraire le cuivre assez rapidement pour suivre le rythme de la croissance de la demande ? Ici, la réponse est moins évidente.
LES DIFFICULTÉS DE L’EXTRACTION DU CUIVRE
La croissance de la demande de cuivre, du simple fait de la croissance économique mais surtout par la mise en place de la transition énergétique et des futurs besoins d’électrification, nécessite d’augmenter de façon drastique la production du métal rouge. Cela paraît évident : les producteurs voyant arriver davantage de commandes, accroissent leur offre pour y répondre. Cependant un ensemble de facteurs, géologiques, technologiques, financiers, extra-financiers, politiques et géopolitiques, rendent plus difficile qu’il n’y paraît l’accélération de la production.
Le temps long
Il y a tout d’abord, et c’est un point essentiel, le temps nécessaire à l’ouverture d’une nouvelle mine. Un projet minier suit quatre grandes étapes : l’exploration, qui permet d’étudier le potentiel d’un projet en termes de production et d’intérêt économique, la mise en valeur qui est la phase d’obtention des permis et autorisations, puis la construction de la mine elle-même et des infrastructures qui y sont liées (routes, usines de transformation, raffinerie éventuelle…). Enfin, la phase de production peut démarrer. Au total, on estime aujourd’hui qu’il faut entre 15 et 20 ans pour lancer la production d’un nouveau gisement minier, et pas moins de 10 ans pour les projets les plus rapides à mettre en place. Cela s’explique notamment par la phase de négociations et d’obtention des permis, qui peut s’étirer sur de nombreuses années.
Le cuivre se situe dans la moyenne : le délai moyen d’ouverture d’une nouvelle mine est aujourd’hui estimé à 17,6 années(20).
Le premier obstacle à l’adaptation de l’offre de cuivre à la demande est donc… le temps !

* La construction de la mine de Kamoa-Kakula a commencé en 2019, avant l'annonce de l'étude de faisabilité définitive en 2020.
** La construction de Timok a commencé en juin 2018, avant l'annonce de l'étude de faisabilité de la zone supérieure de Timok à la mi-2019.
Source : S&P Global Market Intelligence.
© 2023 S&P Global
La déplétion naturelle
L’extraction minière, à l’instar du secteur des énergies fossiles, est confrontée à la déplétion naturelle des ressources, un phénomène où la concentration en minerai des matériaux extraits diminue avec le temps. Ce phénomène est particulièrement marqué dans les régions exploitées depuis longtemps, où les gisements les plus riches ont déjà été épuisés. Par exemple, la teneur moyenne en cuivre est passée de 2 % en 1900 à 0,7 % en 2020, et devrait encore baisser à 0,5 % d’ici 2030. Cette raréfaction entraîne une baisse attendue de la production : selon BHP, les mines produiront environ 15 % de cuivre en moins en 2035 par rapport à 2024.
1900 | 2,0 % |
2000 | 1,0 % |
2020 | 0,7 % |
2030 | 0,5 % |
“Most of the high-grade stuff’s already been mined,” says Mike McKibben, an associate professor of geology at University of California, quoted recently by NPR. “So, we have to go after increasingly lower grade material that costs more to mine and process”.
Le financement des projets
Le secteur minier est caractérisé par des investissements lourds, longs et incertains, exposés aux cycles économiques. En raison du long délai entre le lancement d’un projet et sa mise en production, les mines peuvent entrer en activité lors d’un retournement de marché, compromettant leur rentabilité. Ce phénomène cyclique, dit de « boom and bust »(22), pousse aujourd’hui les entreprises à privilégier la stabilité financière, les acquisitions et les dividendes, au détriment de nouveaux projets miniers. Par ailleurs, les investisseurs, plus prudents face à la volatilité(23) des marchés, aux risques politiques et aux exigences ESG, freinent les financements. Résultat : les dépenses d’exploration ont chuté à 10 milliards de dollars, contre 36 milliards en 2012.

Ajoutons que les opérations minières sont hautement capitalistiques ; elles sont donc particulièrement sensibles au niveau des taux d’intérêt. Le renchérissement des coûts de financement décourage donc d’autant le lancement de nouveaux projets.
L’environnement règlementaire et politique
Les sociétés minières sont confrontées à de nombreuses contraintes politiques et géopolitiques qui compliquent et renchérissent leurs opérations. Les gisements se trouvent souvent dans des pays instables, où la corruption, l’évolution imprévisible des réglementations et les revendications croissantes des gouvernements sur les profits miniers allongent les délais d’obtention des permis et augmentent les risques. Certains États vont jusqu’à taxer davantage ou nationaliser les activités, comme récemment en Indonésie, au Mali ou au Chili. À cela s’ajoutent les tensions avec les populations locales et les ONG, préoccupées par les impacts environnementaux. L’exemple de la mine de Cobre Panama, fermée en 2023 après des manifestations et une décision de justice, illustre bien ces enjeux, d’autant plus qu’elle représentait 1,5 % de la production mondiale de cuivre.
Des opérations plus couteuses
Les compagnies minières subissent une forte hausse de leurs coûts, due à plusieurs facteurs structurels et conjoncturels. Les tensions avec les gouvernements locaux entraînent des renégociations de contrats, des taxes supplémentaires et parfois des amendes lourdes, comme le montre le cas de Barrick Gold(24) au Mali, contrainte de verser 438 millions de dollars en 2025. Par ailleurs, la baisse de la teneur en minerai oblige à extraire davantage de matériau pour une même quantité de métal, augmentant mécaniquement les coûts. Enfin, la flambée des prix de l’énergie (+33 % en cinq ans) et la rareté de la main-d’oeuvre qualifiée, peu attirée par le secteur, aggravent encore la pression financière sur les entreprises minières.
Le recyclage
Enfin, reste le sujet du recyclage. En effet, contrairement aux matières premières de flux comme le pétrole ou les denrées agricoles, les métaux ne sont pas consommés mais peuvent être réutilisés sans perdre leurs propriétés. Malgré cette qualité, le taux de recyclage reste faible :la proportion de cuivre recyclé entrant dans la production de métal se situe par exemple entre 10 et 25 %(25). Cela s’explique d’abord par le taux de recyclage très bas des biens de consommation (peu dirigés vers des chaines de recyclage, il est aussi parfois difficile d’en extraire les métaux, comme dans les smartphones par exemple). D’autres secteurs grands consommateurs de cuivre, comme le bâtiment, l’industrie ou le réseau électrique, ont des taux de recyclage plus élevés mais également une très longue durée d’immobilisation. Ainsi, le cuivre présent dans un câble de réseau électrique sera immobilisé pour des décennies, de même que celui qui compose la plomberie d’un immeuble ou les pales d’une éolienne.
Ainsi, le recyclage ne permettra pas de répondre à la demande de cuivre pour deux raisons. Tout d’abord, la demande continuera d’augmenter en raison de la croissance démographique, de l’innovation des produits et du développement économique. Ensuite, dans la plupart des applications, le cuivre sera longuement immobilisé. Pour répondre à la demande future de métaux, il faudra donc utiliser une combinaison de matières premières primaires, provenant des mines, et de matériaux recyclés.
Ressources suffisantes, extraction bien trop lente
Ainsi, le problème n’est pas celui de l’abondance des ressources : elles semblent suffisantes pour répondre à la hausse de demande attendue sur le marché du cuivre. Il tient en réalité au rythme d’extraction du métal : la complexité des opérations minières, leur coût et une multitude de contraintes freinent aujourd’hui les possibilités d’accroître la production.
Le meilleur moyen de renverser cette situation au plus vite est l’ajustement des cours : l’atteinte d’un prix véritablement incitatif pourrait encourager le lancement de projets d’envergure malgré les difficultés et l’incertitude propres à ce secteur.
L’« Incentive Price »(26)
L’un des éléments nécessaires aux sociétés minières est la perspective d’une rentabilité claire et suffisamment élevée. De nombreux groupes miniers ont déjà annoncé que le cours de cuivre devrait encore nettement progresser pour les convaincre de lancer de nouveaux projets d’extraction. Citons par exemple Ivan Glasenberg, ancient PDG du groupe minier Glencore(27), interrogé lors d’une conférence en mai 2021 : “You will need $15,000 copper to encourage a lot of this more difficult investment. People are not going to go to those more difficult parts of the world unless they’re certain.”(28) Robert Friedland, le fondateur et co-président du groupe minier Ivanhoe Mining(27), évoque le même niveau d’incitation : “We probably need about $15 000/t, stable for a long period of time, before the industry can really gear up and build those giant mines”(29).
Un marché d’équilibres physiques
À propos du prix, il faut ici préciser un élément. Si toutes ces difficultés sont connues du marché et martelées par les dirigeants des plus grands groupes miniers - et elles le sont - pourquoi le prix du cuivre ne monte-t-il pas plus rapidement ?
Cela tient à la particularité qu’ont les marchés de matières premières d’être avant tout des marchés physiques, sur lesquels prédominent les industriels et non les financiers. Les contrats à terme sont de maturité relativement courte, car ils ont avant tout pour but de permettre aux vendeurs de matières premières et aux acheteurs industriels de couvrir leurs risques sur la durée d’un cycle de production. Il est donc difficile pour les prix d’intégrer des tendances longues. Si les investisseurs provoquaient une forte déconnexion entre le prix comptant d’un actif et son prix à terme, cela constituerait d’ailleurs une opportunité pour les producteurs de marchandise ou les acheteurs de se couvrir à un prix attractif. En cas de forte hausse des cours à terme, les producteurs vendraient leur production, faisant corriger le prix à la baisse, et en cas de forte baisse, les acheteurs viendraient s’approvisionner à bon compte et soutenir les cours.
Ainsi contrairement aux actifs financiers plus classiques, comme les actions des entreprises, qui intègrent des revenus futurs sur une longue période, le prix des métaux reflète avant tout l’équilibre à un instant T entre offre et demande.
Cependant, une fois le déséquilibre installé, l’inertie propre au cycle de la production minière peut faire perdurer cette situation. La meilleure façon de corriger cela est l’ajustement du prix, incitant ou décourageant la production. L’investisseur américain Rick Rule, vétéran des marchés de matières premières, en a fait un véritable mantra : “The cure for high prices is high prices. The cure for low prices is low prices”(30). Dans le cas d’un déficit de l’offre face à une demande importante, il faudra que le cours s’ajuste à la hausse de façon suffisamment importante pour inciter davantage de production minière… avec les délais de mise en production que nous connaissons.
CONCLUSION
La transition vers les technologies bas carbone alimente une forte hausse de la demande mondiale de cuivre, mouvement encore accéléré par l’essor phénoménal de l’intelligence artificielle et du numérique.
Ces tendances bouleversent véritablement le marché du cuivre : elles alimentent en effet une demande qui ne viendra pas se substituer, mais s’ajouter à la consommation existante.
C’est dans ce cadre que le CNRS(31) a formulé l’estimation suivante : pour répondre à cette hausse massive de la demande future, le secteur minier devra au cours des 30 prochaines années, extraire autant de métaux que l'homme n'en a extrait au cours des 70 000 dernières années.
La question centrale de cette équation est, comme nous l’avons vu, celle du rythme de progression de l’offre.
La multiplicité des étapes, la technicité et la complexité des opérations liées au processus de production du cuivre laissent entrevoir les contraintes auxquelles sont confrontées les sociétés du secteur minier : coûts, risques opérationnels, lourdeur des investissements.
La réalité géologique est également complexe : le déclin de la teneur en minerai des gisements nécessite d’avantage d’extraction pour un même résultat de production. Cet élément commence à impacter la production annuelle de cuivre, qui ne parvient plus à progresser de façon significative.
Enfin, la crispation des enjeux autour de l’approvisionnement en métaux, nécessaires à la transition énergétique et aux tournants technologiques actuels, engendre une prise de conscience par les gouvernements des pays producteurs de la richesse potentielle que constituent ces gisements. Cela complexifie la phase de négociation des contrats miniers.
Cette accumulation de facteurs à une conséquence majeure : il faut aujourd’hui plus de 17 ans pour ouvrir une nouvelle mine de cuivre.
La contrainte est donc de taille : si d’après les études géologiques, les ressources pourraient permettre de répondre à la demande actuelle et surtout future, les délais de mise en production rendent improbable une hausse de la production dans les prochaines années. Le problème est donc celui de la capacité de l’industrie minière à extraire le métal suffisamment vite pour suivre la demande.
L’Agence Internationale à l’Énergie illustre cette urgence : pour faire face à la future demande il faudrait ouvrir, dans les prochaines années, 25 mines de taille équivalente à la moyenne des 80 exploitations existantes. Et compte tenu du temps nécessaire à leur mise en production, il faudrait que ces projets soient sanctionnés d’une décision d’investissement… dès 2025.
Seulement voilà : les coûts élevés, l’intensité capitalistique, les difficultés d’approvisionnement en eau ou en électricité, la résistance des parties prenantes et le manque de découverte majeure font qu’il existe très peu de projets d’exploration à l’étude.
La production pourrait donc rester proche des niveaux actuels dans les prochaines années. Cette situation évoque ce que Mark Carney, alors gouverneur de la Banque Centrale du Royaume-Uni, avait appelé en 2015 la « tragédie des horizons » : les décisions d’aujourd’hui pouvant faire la différence dans les enjeux du futur proche.
Si nous restons sur cette trajectoire, sans un drastique mouvement d’adaptation du secteur minier, le marché du cuivre pourrait ainsi rapidement plonger dans une situation de déficit dont il sera difficile de s’extraire.

Achevé de rédiger le 11/06/2025
Les sociétés citées ne le sont qu’à titre d’information. Il ne s’agit ni d’une offre de vente, ni d’une sollicitation d’achat de titres.