Une taxe carbone européenne pour la bonne cause ?

L'Union européenne (UE) affiche des objectifs ambitieux en matière de lutte contre le changement climatique et agit depuis longtemps sur son territoire pour réduire son bilan carbone.

Un mécanisme déjà en place, le marché européen du carbone

Le marché européen du carbone a été créé en 2005 afin d’accompagner les pays dans la lutte contre le réchauffement climatique, en les encourageant à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à investir dans des technologies plus « vertes ».

Concrètement, le marché carbone alloue un certain nombre de crédits carbone à une entreprise qui correspond à ce qu’elle peut émettre en termes de CO2. En cas de dépassement de ce quota (réduction d’émissions insuffisante), cette entreprise doit payer un surcoût en rachetant sur le marché les crédits carbone mis en vente par des entreprises excédentaires (ayant réduit leurs émissions).

Ce système peut s’avérer couteux pour les entreprises en développement qui émettent forcément davantage. Ces dernières se retrouvent donc défavorisées par rapport à des entreprises pour qui le marché carbone apparaît comme un droit à polluer afin d’éviter des investissements plus couteux.

Un projet en cours : la taxe carbone européenne

Aujourd’hui, l’Union européenne ne peut ignorer plus longtemps les émissions de CO2 liées à la consommation de produits importés et souhaite imposer ses normes environnementales aux entreprises exportatrices étrangères. Dans cette optique, le Parlement européen a récemment voté une résolution vers un mécanisme européen d'ajustement des émissions de carbone aux frontières (entrée en vigueur prévue en 2023) qui permettra à l’UE d’appliquer une tarification du carbone sur certains produits provenant de pays tiers dont les règles en matière de changement climatique ne sont pas assez ambitieuses.

Ce mécanisme devrait à la fois créer les conditions d’une concurrence plus équitable au niveau mondial et inciter les industries, européennes ou non, à investir pour « verdir » leurs activités.

Quels sont les secteurs concernés ?
La taxe carbone européenne concernera essentiellement les secteurs les plus émetteurs de CO2 sur toute la chaîne de valeur d’un produit, notamment ceux de l’acier fabriqué à partir de charbon.

Et finalement, qui va payer cette taxe ?
La Commission européenne devrait présenter une proposition pour obliger les producteurs non européens à payer une redevance pour exporter des produits polluants en Europe. L’effet escompté reste cependant difficilement appréciable puisque certaines entreprises, en l’occurrence celles qui en auront la possibilité, répercuteront le montant de la taxe auprès du client final.

Une mise en œuvre européenne très/trop complexe ?

La proposition du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières a été très longuement débattue avant qu’une résolution soit adoptée récemment pour une entrée en vigueur prévue en 2023. Mais pour les industriels concernés, des questions cruciales restent en suspens, notamment concernant le seuil d’émissions, le calcul de l'empreinte carbone d'un produit et les moyens pour la vérifier, la tarification du carbone… des éléments qui leur sont indispensables compte tenu de l’importante transformation qu’ils doivent mettre en œuvre.

Une route qui s’annonce longue et sinueuse avant que tous les paramètres de ce mécanisme soient ajustés…

Une taxe qui va probablement se heurter à plusieurs obstacles…

La perception « un problème = une taxe » du système européen
Cette mesure de l’UE pourrait être perçue comme une énième taxe parmi tant d’autres, une vision qui pourrait la discréditer et entraver son bon fonctionnement.

Des mesures de rétorsion envisageables
A l’image de la période où l’administration Trump a érigé des barrières douanières pour tenter de rééquilibrer la balance commerciale américaine, certains Etats pourraient riposter en opposant à l’Europe leurs propres mesures. Mais pour rappel, les agissements de l’ancien président américain ont finalement été un échec avec pour seuls effets l’intensification des tensions commerciales entre les pays et le retard du développement de l’économie mondiale.

Acceptabilité sociale de la taxe par les citoyens européens L'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) estime que, sous couvert d’une raison environnementale populaire, l’Union européenne impose une nouvelle taxe pour pallier au financement d’un projet dont on ne sait rien. Des propos partiellement vrais puisque, par ce biais, l’UE va effectivement se créer de nouvelles ressources propres.

… qui pourraient être évités en intégrant trois principes à sa mise en œuvre

- Eviter une taxe « usine à gaz », c’est-à-dire » trop documentée et basée sur des calculs complexes.
- Privilégier une taxe à assiette large et taux faible, jugée plus efficace économiquement, accompagnée d’une liste simplifiée et compréhensible des produits carbonés avec une visibilité sur leur évolution tarifaire (signal-prix) de façon à inciter les entreprises à changer et à « verdir » leurs productions.
- Faire preuve de transparence sur l’utilisation des recettes générées.

Entre 5 et 15 milliards d’euros de recettes (selon les estimations de la Commission) mais destinés à quoi ?

Une partie de l’argent dégagé grâce à cette taxe carbone pourrait servir à inciter les partenaires commerciaux de l’UE à se décarboner en finançant des investissements « verts » européens, des projets qui s’inscrivent souvent sur le long terme et demandent des financements publics pour être initiés.

Sur les dix prochaines années, chaque évolution dans la lutte contre le changement climatique va se traduire par un coût supplémentaire, raison pour laquelle l’autre partie des recettes devraient être allouées à la formation ainsi qu’aux personnes les plus démunies et vulnérables, notamment celles se trouvant dans les bassins industriels en transformation. Une manière de faire passer cette taxe en évitant un mouvement de protestation comme celui des « gilets jaunes » qu’a connu la France.

La lutte contre le changement climatique demande de relever de nombreux défis qui ne doivent pas pour autant transformer notre économie en un « enfer vert » de taxes et de contraintes.