Un marché des droits à polluer plus gros que le négoce de pétrole ?

En réponse aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’Union européenne a mis en place en 2005 un système d’échange de quotas d’émission, plus connu sous le nom de « marché carbone » ou encore « marché des droits à polluer », qui suscite aujourd’hui un intérêt grandissant de la part de nombreux acteurs économiques.

Pourquoi une telle envolée du marché de la compensation carbone ?

La Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen ont fixé, le 21 avril, un nouvel objectif de réduction d’au moins 55% des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 (par rapport au niveau de 1990) afin d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Depuis cette annonce, le prix des droits à polluer flambent et affichent une progression d’environ 50% depuis le début de l’année...
Concrètement, les entreprises polluantes se retrouvent face à deux possibilités : soit elles mettent en œuvre un processus de décarbonation pour réduire leurs émissions de CO2, soit elles s'acquittent de « droits à polluer » dont les prix augmentent au rythme des interventions réglementaires qui devraient se multiplier à l’avenir.
Les prix du carbone sont donc logiquement appelés à augmenter encore davantage ce qui suscite l’intérêt d’investisseurs financiers qui y voit une opportunité à ne pas laisser passer.

Le marché carbone en passe de rivaliser avec celui de l’or noir ?

La décarbonation de l’économie va prendre du temps. Plusieurs années vont devoir encore s’écouler avant de parvenir à la disparition des moteurs thermiques. Par ailleurs, le manque d’investissement dans l’industrie pétrolière va fortement impacter la production ce qui, face à une demande croissante de pétrole qui reste une énergie incontournable aujourd’hui, va entraîner une hausse des prix.
Compte tenu de la dépendance du monde à l’égard du secteur pétrolier qui devrait perdurer, il va être difficile pour le marché du carbone de concurrencer celui de l’or noir… A une plus longue échéance, le marché des droits à polluer pourrait toutefois devenir beaucoup plus important et pourquoi pas, s’imposer sur la scène mondiale.

La décarbonation de la planète exige une accélération de la transition énergétique des pays en développement et émergents

Il existe aujourd’hui une vingtaine de marchés du carbone dont celui de la Chine, premier pollueur mondial, qui tend à devenir le plus important au monde.
Au cours des trente dernières années, la Chine s’est modernisée (industrialisation et d’urbanisation) à un rythme effréné. Le pays a connu un développement économique incomparable qui lui a permis de sortir de la pauvreté et de devenir une grande puissance économique et commerciale. Cette croissance s’accompagne toutefois d’inconvénients majeurs que sont les niveaux de pollution record engendrés (usage intensif des ressources naturelles, consommations d’énergie démesurées) par l’adoption du mode de vie occidental par les Chinois (voitures individuelles, …).

La Chine a lancé son marché carbone national pour lutter contre les émissions de ses centrales à charbon.

Les réglementations toujours plus contraignantes entraînent une demande excessive sur le marché carbone

Pour agir efficacement en faveur du climat, les industriels mettent en place des actions de réduction de leur propre empreinte carbone, achètent des droits à polluer et financent parfois un ou plusieurs projets écologiques agréés dont l’activité permet de compenser tout ou partie de ses émissions de CO2 (plantation d’arbres pour reboiser les forêts). Malgré leur bonne volonté et leur implication, les entreprises ne peuvent pas toujours tenir le rythme face aux règlementations toujours plus contraignantes, c’est pourquoi elles anticipent le dépassement de la quantité d’émissions qui leur est autorisée en achetant des droits à polluer sur le marché carbone.
Et la forte demande a des répercussions sur les prix qui s'envolent…

Les prix des « droits à polluer » flambent sous le poids de la demande.

Après avoir progressé de près de 50% depuis le début de l’année, les prix des droits à polluer se négocient à l’heure actuelle autour de 50 euros la tonne de CO2 sur le marché européen. Cette envolée ne devrait pas en rester là. Selon certaines estimations, la tonne de carbone devrait atteindre voire dépasser les 100 euros dans les années à venir.

Des contraintes qui ciblent les secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre.

Le système d'échange de quotas d'émission fixé par l’Union européenne ne s’adresse pour le moment qu’aux industriels appartenant aux secteurs les plus polluants : l’énergie, la production et transformation des métaux ferreux, l’industrie minérale et la fabrication de papier et de carton. 11 000 entreprises sont concernées aujourd’hui par ce mécanisme, une liste qui va très certainement s’allonger avec le temps et y intégrer notamment les transports.
Cette disposition s’accompagne de sanctions financières pour les entreprises assujetties qui dépassent les quotas d'émissions.

Des coûts pouvant freiner le développement durable des entreprises.

Les contraintes réglementaires coûtent de plus en plus cher aux entreprises et réduisent les capacités d'investissement de certains industriels dans la décarbonation de leurs méthodes de production.
Les nombreuses transformations qu’impose la transition énergétique aux entreprises (développement des énergies renouvelables, transformation des méthodes de production, voitures électriques, …) ont un coût qui, tôt ou tard, va probablement retomber sur les factures des consommateurs.

Un prix du carbone élevé : l’outil efficace pour inciter les entreprises à modifier leur comportement et se décarboner

Outre l’effet spéculatif causé par des investisseurs attirés par les opportunités du marché carbone, la flambée des prix des droits à polluer témoigne du bienfait des contraintes réglementaires rigoureuses fixées par les Accords de Paris.

En Europe, l’accélération de la transition énergétique a été initiée par les régulateurs.
En Chine, l’initiative a été portée par la population. Confrontée aux niveaux insupportables de pollution et à la multiplication des scandales sanitaires, elle a su mettre la pression au gouvernement afin qu’un tournant vers la décarbonation de l’économie se fasse rapidement, d’où le lancement du marché carbone national chinois.