Raison d’être : les sociétés du CAC 40 face à leurs engagements ?
Intervention de Michel GERMOND, Consultant senior chez WEMEAN, pour l'émission « Ça vaut le coup ! » sur Boursorama

Une étude menée par le cabinet de conseil WEMEAN (Raisons d'être & Société à mission : où en est le SBF 120 ? publiée en décembre 2021) révèle que 69 des plus grosses capitalisations boursières de Paris (SBF 120) sont dotées d’une raison d’être. 12% d’entre elles sont allées au bout du concept promulgué par le législateur (loi Pacte) et l’ont inscrite dans leurs statuts. Dans la plupart des autres cas, les entreprises l’ont intégrée dans leurs documents d’enregistrement universel ou leurs rapports de gestion, la preuve d’un réel engagement compte tenu de l’exigence du cadre réglementaire français sur la sincérité de la communication financière.
Ni un slogan, ni une signature marketing, la notion de raison d’être peut-être définie comme l’expression de l’utilité de l’entreprise dans la société, c’est-à-dire une réponse à la question : Pourquoi existons-NOUS ? Et Pourquoi existerons-NOUS demain ?
Elaborer une raison d’être, c’est le fruit d’un travail collectif.
Aujourd’hui, se doter d’une raison d’être est une opportunité pour les entreprises de redonner du sens à leur collectif. Et c’est dans cette optique qu’Orange a formalisé la sienne, en lançant une concertation ouverte à ses 150 000 collaborateurs pour définir les enjeux et les mots qui traduisent le mieux le sens profond de l’activité d’Orange en tant qu’opérateur de télécommunication majeur.
Etablie dans une démarche de co-construction, la raison d’être d’Orange est ainsi devenue à la fois la boussole des choix stratégiques du Groupe et des actions du quotidien de chaque collaborateur.
Une raison d’être c’est faire la rencontre entre la singularité d’une entreprise et les défis de société auxquels elle souhaite répondre.
La raison d’être adoptée par Orange (« L’acteur de confiance qui donne à chacune et à chacun les clés d’un monde numérique responsable. ») traduit la volonté du Groupe de se positionner sur ses métiers de référence tout en revendiquant un impact positif sur l’ensemble de ses parties-prenantes.
Donner du sens à une raison d’être, c’est la rendre opérationnelle !
De prime abord, toutes les entreprises sont suspectées de « washing », c’est-à-dire soupçonnées d’arborer une approche vertueuse de façade (stratégie marketing) sans véritable implication. Pour lever le doute, elles doivent convaincre de la sincérité de leur démarche et impérativement apporter la preuve d’une déclinaison opérationnelle de leur raison d’être au sein de leur structure : mise en œuvre d’actions observables et des résultats concrets qui ont de l’impact (suivi, pilotage et mesure) !
La raison d'être : statutaire ou déclarative
80% des sociétés du CAC 40 ont opté pour une raison d’être. Seulement 2,5% d’entre elles l’ont faite figurer dans leurs statuts. Une grande majorité des entreprises ont préféré faire la démarche de façon déclarative. Certains y verront de simples bonnes intentions, pas un véritable engagement. Pourtant, elles ont franchi une première étape dans la conduite de leur changement et sont en route pour contribuer positivement à la transformation de la société.
Le mouvement de responsabilité sociétale des entreprises se déploie progressivement.
La société Icade s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Pour être en cohérence avec sa raison d’être qui figure en préambule de ses statuts (« … Des lieux où il fait bon vivre, habiter, travailler »), elle a développé une nouvelle offre immobilière (« Naturellement chez soi ») qui vise à répondre aux nouveaux besoins des habitants en conciliant deux axes forts : l’accès au logement et à la nature.
Inscrire une raison d’être aux statuts, un exercice contraignant !
La raison d’être est une vraie stratégie de gestion de l’entreprise. Elle ne peut être statutaire que si elle devient opérationnelle et transformative pour les organisations. Pour se faire, les directions générales et les directions opérationnelles doivent être en capacité de prendre en compte la raison d’être et de la décliner en actions concrètes à chaque niveau de responsabilité. Par ailleurs, même si les actionnaires plébiscitent les raisons d’être, ils entendent demander des comptes aux entreprises sur leur mise en œuvre.
Les sociétés à mission
En 2020, Danone est devenue la première société cotée - et la seule encore aujourd’hui du CAC 40 - à adopter la qualité de société à mission en France, une démarche suivie en 2021 par un second industriel, le producteur d’énergies vertes Voltalia coté sur Euronext.
Prétendre à la qualité de société à mission implique la mise en place d’une gouvernance spécifique, distinct des organes sociaux, le « comité de mission ». Chargé du contrôle de l’effectivité de la mission, ce comité doit apporter la preuve tangible de l’adéquation entre la raison d’être de l'entreprise et les pratiques, et établir un rapport annuel sur les actions mises en œuvre par l’entreprise. Par ailleurs, la loi prévoit le contrôle de l'exécution des objectifs sociaux et environnementaux par un organisme tiers indépendant au minimum tous les deux ans.
La déclinaison opérationnelle de la raison d’être
De la raison d’être à l’action !
Icade est l’exemple même d’une société dont la mise en œuvre de la raison d’être s’est avérée efficace et productive. En embarquant l’ensemble des directions générales et opérationnelles dans sa démarche, elle a réussi à créer une vraie dynamique de transformation de l’entreprise autour d’un nouvel axe stratégique, celui du bas carbone. Les différentes Directions sont ainsi devenues les « acteurs » de la mise en œuvre de la raison d’être et les rôles de chacun ont été définis dans cette transformation (lancements d’émissions Green Bonds, programmes « Naturellement chez soi » et « 10% des logements 10% moins chers »).
L’entreprise a également fixé de nouveaux indicateurs de suivis spécifiques afin de mesurer l’impact des actions mises en œuvre et apporter la preuve aux investisseurs et collaborateurs de la sincérité de sa démarche.
Dans les années à venir, les entreprises pour qui la raison d’être n’est qu’un argument marketing sans déclinaison opérationnelle (Fairwashing) vont probablement voir leur image de marque en pâtir. Elles doivent en prendre conscience…