Pétrole, gaz : et si on en sortait dès maintenant ?
Jusqu’où la transition énergétique peut-elle être accélérée ? Une sortie immédiate des énergies fossiles est-elle possible ?
Une transition énergétique inédite
Historiquement, aucune transition énergétique n’a jamais été réalisée. Les nouvelles sources d’énergies ont toujours été additionnées successivement sans jamais amorcer une profonde transformation.
A la biomasse, l’une des premières formes d’énergie utilisées par l’Homme (essentiellement le bois pour se chauffer) s’est ajouté le charbon, puis au charbon s’est ajouté le pétrole, le gaz... pour aujourd’hui se retrouver avec une énergie fossile qui représente plus de 8O% de l’énergie primaire consommée dans le monde.
Une sortie immédiate des énergies fossiles ?
Certaines voix s'élèvent et réclament une sortie immédiate des énergies fossiles pour sauver notre planète d'un désastre écologique. Est-ce techniquement possible ? Quelles conséquences pour notre économie et nos modes de vie, sachant que 95% de la mobilité (automobiles, camions…) passent par le pétrole et le gaz ?
L’enjeu porte sur une transition, non une rupture, mais également sur la stratégie à adopter pour y arriver. Et à ce sujet, beaucoup d’études ont récemment été publiées par la Banque Mondiale, l'Agence Internationale de l'Energie (AIE) et l’Union Européenne.
Le choix d’une rupture instantanée entraînerait l’arrêt de nombreux secteurs de l’économie, notamment l’ensemble des services logistiques, mais ce n’est pas celui qui est fait aujourd’hui.
Des solutions de substitution aux énergies fossiles existent mais elles présentent certains inconvénients, notamment en ce qui concerne les importants besoins en métaux que nécessite la production d’énergie renouvelable. De nombreuses inquiétudes portent aujourd’hui sur les ressources, suffisantes ou pas, pour passer d’un système « tout pétrole » à un système « tout renouvelable ». A cela s’ajoute un problème géostratégique trop souvent ignoré, celui de la dépendance aux producteurs de métaux, en lieu et place de la dépendance aux pétromonarchies. Par exemple, les batteries nécessaires à la mobilité électrique contiennent du cobalt et ce métal est essentiellement produit dans la République Démocratique du Congo dans des conditions pas toujours optimales d’un point de vue social, pour ensuite être raffiné à 80% en Chine.
Certains avancent souvent l'argument de l'exploitation polluante des « terres rares » mais c’est un faux sujet puisque les énergies renouvelables n'en utilisent plus (Rhône-Poulenc raffinait 50% des terres rares du monde entier dans les années 80).
Les solutions actuelles de substitutions aux énergies fossiles nous feraient donc passer d’une dépendance aux monarchies du Golfe (le pétrole) à une dépendance aux pays producteurs de métaux.
Le véhicule électrique, La solution ?
Aujourd’hui, la capacité de la production mondiale de batteries pour véhicules électriques ne permet d’équiper que 4 à 5 millions de véhicules par an alors que sont vendus entre 90 et 100 millions de véhicules par an dans le monde. Le compte n’y est pas et l’organisation pour augmenter cette capacité de production (construction d’usines de production de batteries) va prendre du temps.
Le charbon, une source d'énergie qui devrait être bannie mais pourtant…
Dans un tel contexte, certains éléments devraient être des évidences mais ne le sont pourtant pas. Nous savons produire de l’électricité en quantité sans charbon qui est l’énergie fossile la plus polluante. Pourtant, aujourd’hui encore, plus de 170 centrales à charbon sont en construction dans le monde et le Japon vient de décider la construction de 22 centrales dans les 5 prochaines années pour tourner la page du nucléaire.
Une disparition graduelle du pétrole
La question du pétrole est plus compliquée du fait que certains secteurs de l’économie ne sont, pour le moment, pas en mesure de s’en passer. La transition doit cependant s’organiser.
A ce sujet, l'AIE a établi un scénario, le Sustainable Development Scenario (SDS), qui définit quelle courbe doit suivre la consommation de pétrole pour arriver à un monde soutenable en 2050. Les chiffres sont clairs : la consommation de pétrole doit baisser de 11% entre aujourd’hui et 2030 et de 24% entre 2030 et 2040. Pour atteindre cet objectif, certaines mesures peuvent être prises.
Les pétroles non conventionnels, c’est-à-dire les pétroles de schiste et les sables bitumineux aux Canada, sont actuellement les plus « critiquables » car les plus polluants. Ils représentent 12% de la production mondiale donc mettre un terme à leur financement respecterait la première étape fixée par l’AIE.
Mais aujourd’hui, même pour un scénario tel que celui établi par l’AIE, les investissements dans le secteur pétrolier ne sont pas suffisants pour pouvoir produire le pétrole nécessaire, raison pour laquelle il ne faut pas totalement les arrêter.
Maintenant, ce n’est pas parce que l’on ne peut pas faire sans, que l’on ne peut pas faire mieux.
Il faut donc veiller à ce que les investissements ne ciblent que les gisements où l’extraction de pétrole est réalisée le plus proprement possible de façon à moins nuire à la planète, à savoir dans le pétrole conventionnel, dans des conditions sécurisées avec une limitation du « flaring » (torchage de gaz). A l’extraction du pétrole, celui-ci remonte souvent à la surface, accompagné de gaz que beaucoup de sociétés brûlent en sortie de puit en raison de son bas prix, ce qui émet du CO2 en grande quantité. Pourtant, ce gaz pourrait être capté et réinjecté dans le réseau mais cette action a un coût et pour le moment, il faut faire des choix.
Selon l’AIE, pour permettre une vraie transition et enrailler le réchauffement climatique, la réduction de la consommation de pétrole doit donc se faire graduellement pour arriver à l’objectif « zéro pétrole » en 2050. Essentielle, cette action va permettre de protéger la planète et la biodiversité.
Dans le même temps, elle va également limiter les risques des investisseurs. En effet, si l’intérêt pour le pétrole disparaît, cet actif risque de se dévaloriser et ainsi impacter négativement leurs portefeuilles.
Enfin, cette transition présente des opportunités extraordinaires puisqu’elle va créer de nouvelles énergies et de nouvelles sociétés autour des énergies renouvelables et des solutions pour passer à une économie propre (éolien, solaire, hydrogène, …).