La guerre en Ukraine va-t-elle retarder la transition énergétique ?

Intervention de Benjamin LOUVET, Gérant matières premières chez OFI AM, pour l'émission « Ça vaut le coup ! » sur Boursorama

La guerre en Ukraine occupe actuellement tous les esprits et toute l’actualité, faisant presque oublier l’existence d’une autre guerre dans laquelle le monde entier s’est engagé depuis déjà de nombreuses années, la guerre contre le réchauffement climatique. Ces deux combats doivent pourtant être menés de front.

Faire ce parallèle peut sembler choquant mais au regard des chiffres alarmants sur le climat, c’est bel et bien d’une guerre dont il s’agit.
Selon une étude de l’université Harvard (Etats-Unis), un décès sur cinq dans le monde est lié à la pollution de l’air, notamment provoquée par la combustion des énergies fossiles.
De même, le dernier rapport du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), passé inaperçu compte tenu des événements en Ukraine, dresse un sombre tableau sur les effets du réchauffement climatique qui menacent les écosystèmes et les humains. La hausse du niveau des océans pourrait provoquer d’importants mouvements de population dans le monde faisant grimper considérablement le nombre de réfugiés climatiques dans les prochaines années.

« Décès », « mouvements de population », « réfugiés », … des termes qui s’approchent de ceux relatant une guerre.

Contrairement à la « guerre physique » que connait actuellement l’Ukraine où les violences infligées sont visibles et relayées en images par les médias, celles provoquées par le réchauffement climatique sont beaucoup plus « sourdes » puisque non imagées et sans concentration des morts, ces derniers étant disséminés un peu partout à travers le monde… Elles n’en sont pas moins réelles.

Des mesures transitoires et des efforts à fournir

Les solutions au choc énergétique doivent être « acceptables » …

Aujourd’hui, beaucoup d’experts redoutent que la guerre en Ukraine retarde la transition énergétique car, pour s’affranchir des importations d’hydrocarbures russes (pétrole et gaz), l’Europe réfléchit à des solutions alternatives qui pourraient ne pas profiter aux énergies décarbonées, en relançant notamment des projets polluants pourtant voués à s’éteindre…
Certaines propositions sont acceptables mais attention à ne pas franchir la ligne rouge ! Et aujourd’hui, relancer les centrales à charbon reviendrait à franchir cette ligne rouge car recourir au plus polluant des combustibles fossiles retarderait considérablement les objectifs fixés par l'accord de Paris sur le climat, des enjeux vitaux pour préserver la planète.

… mais il va tout de même falloir faire des concessions majeures…

Sur le moyen/long terme, la meilleure solution pour se passer du gaz et du pétrole russe repose sur le développement des énergies renouvelables mais compte tenu des longs délais d’installation de celles-ci, il va peut-être falloir envisager à très court terme de réinvestir dans la production de pétrole (« dommages collatéraux ») pour maintenir les stocks européens à flot et assurer les dépenses énergétiques incompressibles. Cette période transitoire devra cependant être limitée dans le temps et les investissements dans les combustibles traditionnels contraints en volume.

Des changements de comportement et de pratiques qui concernent l’ensemble de la société…
Au-delà de la question de l’approvisionnement, un scénario de transition énergétique implique également d’engager des efforts de réduction des consommations d’énergie, notamment à travers la sobriété énergétique (prioriser et réduire volontairement ses besoins d’énergie afin d’en réduire la demande). Par exemple, baisser d’un degré le chauffage représente 10% de consommation de gaz en moins.

La transition énergétique pourrait tirer l’inflation à la hausse
Le déploiement des énergies renouvelables nécessite de grandes quantités de métaux dont le prix risque de renchérir celui de nombreux biens et services. Un prix à payer acceptable car il n’a pas de coût humain…

… pour mettre un terme à la « tragédie des horizons ».

Nous nous trouvons aujourd’hui dans la « tragédie des horizons » évoquée en 2015 par Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d'Angleterre, qui alertait sur le besoin impératif de relier les intérêts court terme de la finance aux enjeux long terme de la lutte contre le réchauffement climatique.

Les énergies renouvelables sont des solutions moyen termes viables toutefois leur développement prend du temps, la construction d’une ferme éolienne ou d’un parc solaire nécessitant entre 5 et 7 ans.
Actuellement, tout l’enjeu réside dans la façon de faire le pont entre aujourd’hui et le moment où ces nouvelles sources d’énergies renouvelables seront disponibles.

Des problématiques géopolitiques et diplomatiques

Repenser les relations internationales…

La guerre en Ukraine a mis en lumière la dépendance de l’Europe à un certain nombre de pays avec lesquels les relations diplomatiques ne sont pas forcément au beau fixe, notamment la Russie mais aussi la Chine qui fait partie des plus importants raffineurs de métaux indispensables à la transition énergétique et le plus gros producteur de terres rares de la planète.

Trouver des solutions pour assurer la souveraineté énergétique de l’Europe

En France, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a annoncé qu’elle n’excluait pas la réouverture d’exploitations minières pour s’affranchir de notre dépendance en lithium à l’égard de la Chine.
Sur la question du nucléaire, Emmanuel Macron a pris la décision de ne plus fermer de centrales par anticipation sauf pour des raisons de sécurité afin de garantir l'approvisionnement en électricité du pays. De son côté, l’Allemagne ne compte pas marcher dans les pas du Président de la République française et privilégie la réouverture des centrales à charbon, la ligne rouge à ne pas franchir selon Benjamin Louvet.

La guerre en Ukraine : frein ou accélérateur de la transition énergétique ?

A ceux qui redoutent que la guerre en Ukraine retarde la transition énergétique, il faut répondre que ce conflit renforce au contraire l’argument en faveur d’une accélération dans le déploiement des énergies renouvelables, d’autant que l'Agence internationale de l'énergie (AIE) avait déjà alerté sur la lenteur de sa mise en œuvre.

Et à ceux qui craignent les conséquences financières liées à l’envolée des cours des métaux stratégiques, il faut leur rappeler qu’elles sont gérables sur le court terme et que c’est le rôle des Etats d’y remédier, contrairement aux conséquences humaines actuelles qu’engendre le réchauffement climatique.