Investir dans des entreprises présentes en Russie : quels risques ?

Intervention de Luisa FLOREZ, Directrice des Recherches en Finance Responsable chez OFI AM, pour l'émission « Ça vaut le coup ! » sur Boursorama

L’Investissement Socialement Responsable (ISR) exclut formellement certaines activités, comme le tabac, le charbon, les combustibles fossiles mais n’exclut pas d’entreprises qui opèrent dans des pays à risques.

Aujourd’hui, alors que de nombreuses sanctions économiques ont été adoptées à l’encontre de la Russie pour faire cesser ses opérations militaires en Ukraine, le gouvernement français n’a pas contraint les entreprises françaises qui ont des filiales ou des unités de production implantées dans le pays de quitter ce dernier ou de cesser leurs activités. Pour autant, leur présence sur le territoire de Vladimir Poutine soulève de nombreuses polémiques dans l'opinion publique. Et pour les investisseurs dont les positions sont exposées aux activités de ces entreprises, la guerre en Ukraine met en évidence plusieurs types de risques extra-financiers liés aux enjeux ESG.

A partir des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et de l’analyse des controverses des émetteurs, l’équipe ISR d’OFI Asset Management a souhaité fournir aux investisseurs un cadre leur permettant d’apprécier les risques que peuvent encourir les entreprises qui opèrent dans certains pays en raison d’un conflit armé, et tout particulièrement en Russie.
Cette étude a permis d’identifier quatre typologies de risques extra-financiers.

1. Un risque lié au capital humain de l’entreprise

Les entreprises doivent appliquer la Loi sur le devoir de vigilance, adoptée en France le 21 février 2017, et mettre en œuvre toutes les diligences nécessaires pour s’assurer du respect des droits fondamentaux de leurs salariés, sous-traitants et fournisseurs qui opèrent en Russie.

2. Un risque légal accru lié à des faits de corruption

La guerre en Ukraine renforce les craintes que des entreprises implantées en Russie tissent des liens étroits avec le gouvernement ou l’armée pour continuer à exercer leur activité.

3. Un risque réputationnel ou risque d’appel au boycott

Les multinationales peuvent faire l’objet de campagnes virulentes sur les réseaux sociaux appelant au boycott de leurs produits et mettant en cause l’image de marque de l’entreprise.
Aux Etats-Unis, durant la guerre du Vietnam, les fabricants de napalm ont subi des fortes pressions de la part des investisseurs éthiques et de la société civile pour quitter le pays. De même, certains dirigeants d’entreprise, accusés de faire travailler des enfants pour fabriquer leurs chaussures au prix le moins cher possible dans certains pays avec des lois sociales moins protectrices, ont vu leur marque boycottée par de nombreux consommateurs.
Si par le passé, le boycott a impacté les entreprises et contribué à améliorer leur prise en compte des enjeux ESG, aujourd’hui les appels au boycott en Russie ne se reflètent pas encore dans les chiffres des entreprises.

4. Un risque d’opacité

Beaucoup d’entreprises implantées en Russie voient actuellement l’accès à leur site internet bloqué, un manque de transparence et d’informations disponibles qui leur a valu une dégradation de leur note ESG.

L’équipe ISR d’OFI Asset Management s’est appuyée sur les actions et critiques parues dans les médias des entreprises pour évaluer leur capacité à répondre à ces quatre catégories de risques. Tout d’abord, on peut observer une forte contradiction entre les groupes qui maintiennent leurs activités en Russie en invoquant leur responsabilité vis-à-vis de leurs salariés russes ou parce qu'ils fabriquent ou commercialisent des produits essentiels dans le pays (lait infantile médicaments, …) et l’appel du président ukrainien Volodymyr Zelensky aux ressortissants français pour quitter la Russie et cesser de soutenir son économie.

Côté bonnes pratiques, beaucoup d’entreprises s’engagent et se mobilisent pour soutenir la population ukrainienne : dons financiers, accompagnement des réfugiés (assureur), hébergements (tour-opérateurs), création des camps de réfugiés à la frontière…
A l’inverse, d’autres refusent de quitter la Russie et préfèrent attendre… jusqu’au jour où le risque pourrait devenir juridique si la Cour Pénale condamne les crimes de guerre russes.

Les entreprises présentes en Russie font donc l’objet d’une vigilance accrue par les équipes ISR d’OFI AM.
En tant qu’investisseur responsable, il ne faut pas hésiter à engager le dialogue avec les sociétés et leur demander des explications sur la manière dont elles agissent sur les quatre typologies de risques extra-financiers identifiées par OFI AM : capital humain, corruption, risque réputationnel et opacité.