Hausse des rémunérations des grands patrons : extravagante ou méritée ?

Intervention de Loïc DESSAINT, Directeur en charge de la gouvernance chez PROXINVEST, pour l'émission « Ça vaut le coup ! » sur Boursorama

Proxinvest

Selon une étude de la plateforme de services aux sociétés cotées européennes Scalens, la rémunération moyenne allouée aux dirigeants du CAC 40 a flirté avec les 100% d’augmentation au titre de l’année 2021, atteignant la somme de 8,7 millions d’euros en moyenne (parts fixe et variable comprises), contre 4,5 millions en 2020 (correction en raison de la crise sanitaire liée au Covid-19) et 5,4 millions en 2019.

Après une année d’efforts en 2020, les bons résultats des entreprises sur 2021 peuvent expliquer les bonus annuels élevés pouvant aller jusqu’à s’aligner voire dépasser les niveaux de 2019 mais certains cas extrêmes font exploser les moyennes des rémunérations. On ne peut donc pas vraiment parler d’envolée mais plutôt d’une très forte hausse des émoluments des dirigeants du CAC 40 en 2021 et, au vu des propositions faites au cours des récentes Assemblées Générales, cette progression devrait se perpétuer sur 2022.

Une moyenne autour de 6 à 7 millions d’euros.

En règle générale, la rémunération d’un patron du CAC 40 se compose d’un salaire fixe touché chaque année (entre 1 et 1,5 millions d’euros), de bonus annuels variables votés en AG (1 à 2 millions d’euros) et d’un intéressement à long terme sous forme d’actions gratuites soumises à la performance, représentant à peu près la moitié de sa rémunération (2 à 4 millions d’euros) et généralement versées au bout de trois ans ou 5 ans.

Rien d’illogique au global mais certains cas hors norme créent la polémique.

L’évolution salariale de la plupart des patrons du CAC 40 est compréhensible et explicable mais les montants astronomiques attribués à quelques-uns ont suscité l’indignation générale. C’est le cas de Carlos Tavares, Directeur Général de Stellantis, dont la rémunération hors norme (66 millions d’euros contre 15 M€ chez Fiat Chrysler) a provoqué un véritable scandale. L’Assemblée Générale des actionnaires du groupe s’y était pourtant opposée mais, de droit néerlandais, l’entité n’est pas soumise à un vote contraignant comme c’est le cas en France, le vote n’y est que consultatif.
Au classement des dirigeants les mieux payés au titre de l’année 2021, on retrouve également Bernard Charlès, Directeur Général de Dassault Systèmes, avec 44 millions d’euros (contre 20 M€ en 2020) ou encore Daniel Julien, PDG fondateur de Teleperformance, dont les 20 millions d’euros qui lui ont été attribués (contre 17 M€ en 2020) ont été accordés par 85% des actionnaires.

Chaque année, Proxinvest, société de conseil de vote aux investisseurs, recommande à ses clients de voter contre les rémunérations de certains dirigeants mais pour cette nouvelle saison des assemblées générales, elle voit son taux de recommandations négatives augmenter très fortement. Cette progression est inquiétante puisqu’elle reflète un mouvement généralisé de hausses des rémunérations des grands patrons pour 2022.

Mais alors, quelle rémunération allouer à un dirigeant dont les résultats sont excellents sans pour autant créer la polémique ?

Stellantis a obtenu des résultats records en 2021 avec une marge qui rappelle celle du luxe automobile, il est donc légitime que les taux d’atteinte des critères soient proches de leur maximum. Mais en attribuant à son Directeur Général une rémunération totale de 66 millions d’euros dont un bonus annuel exceptionnel de 7,5 millions d’euros alors que la norme française se situe entre 1 et 2 millions d’euros, accompagné de divers plans d’intéressement à long terme en actions, Stellantis semble fortement influencé par les standards américains dont les montants sont bien plus élevés qu'en France.
Cependant, une grande partie de ces 66 milliards d’euros ne se répètera pas dans le temps puisqu’elle est directement liée à la fusion des groupes Peugeot-Citroën-Opel et Fiat-Chrysler. Selon la politique de rémunération de Stellantis, le salaire de Carlos Tavares devrait redescendre pour tout de même approcher les 12 millions d’euros chaque année. Et étonnamment, même s’il est fortement contesté, ce montant versé à Carlos Tavares choque moins que les 15 millions de revenus que percevait Carlos Ghosn autrefois (6 M€ chez Renault et 9 M€ de Nissan) …

Encore peu d’actions concrètes en termes de RSE…

Aujourd’hui, les sociétés sont de plus en plus nombreuses à se déclarer s'impliquées dans la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Mais que penser des grands patrons qui demandent à leurs salariés de fournir des efforts, notamment en termes de salaire, tout en s’octroyant de fortes hausses de rémunération ?

Thales est le parfait exemple d’une entreprise qui déploie une politique affirmée en matière de responsabilité sociétale puisqu’en Assemblée Générale, a été proposée une hausse de 6% de la rémunération de Patrice Caine, pourcentage qui réplique l’augmentation dont ont bénéficié les salariés. Peu d’entreprises du CAC 40 mettent en œuvre ce type de politique de rémunération et pour bon nombre d’entre-elles, le salaire du dirigeant se maintient pendant une certaine période et augmente fortement au renouvellement de son mandat.

Pourtant, avec l’instauration du ratio d’équité (mesure de comparaison entre l’évolution de la rémunération des dirigeants et celle des salariés), la loi Pacte ambitionnait de renforcer la transparence sur la politique de rémunération des dirigeants des entreprises et d’accroître la responsabilisation des pratiques salariales. Malheureusement, ce dispositif n’a pas eu les effets escomptés puisque les informations obtenues témoignent d’une évolution plus rapide de la rémunération d’un patron par rapport à celle de ses salariés.

… la rémunération variable des dirigeants se « verdit ».

Outre cet échec en matière de responsabilité sociétale, la loi Pacte a tout de même permis de stimuler l’intégration de critères extra-financiers par les entreprises du CAC 40 dans la rémunération variable de leurs patrons. Une quote-part qui représente aujourd’hui entre 20 et 30%.
Cette inclusion requiert toutefois l’extrême vigilance des investisseurs et des actionnaires quant à la qualité, l’exigence et la pertinence des critères choisis, les niveaux d’objectifs s’avèrant parfois insuffisants, notamment concernant la réduction des émissions de CO2 ou encore le périmètre pris en compte. La part variable du salaire indexée sur des critères ESG ne doit pas devenir garantie pour le dirigeant…

Des actionnaires qui ont globalement du mal à voter « contre » la rémunération des dirigeants…

Les actionnaires du CAC 40 sont nombreux, de natures différentes et très internationaux. Un investisseur dit « responsable » aura davantage tendance à s’opposer au vote sur le salaire d’un dirigeant. Par ailleurs, la vision des investisseurs européens se différencie de celle des américains. En Europe, l’attention va surtout porter sur les conditions de performances financières/extra financières et sur le niveau de rémunération alors qu’aux Etats-Unis, avec une moyenne de salaire aux alentours de 13 millions d’euros pour le S&P 500, l’attribution de 5 ou 8 millions d’euros à un dirigeant ne choque pas, au contraire.
Les Conseils d’Administration justifient de plus en plus les hausses de rémunération en présentant des panels de comparaison dans lesquels sont parfois inclues des sociétés américaines qui font augmenter les comparables.
Cette année, certaines sociétés françaises ont tendance à se comparer à des concurrents plus importants pour tirer les rémunérations vers le haut (Danone). D’autres assument vouloir se positionner au-dessus du troisième quartile et de se voir attribuer une rémunération bien supérieure à celle qui leur ait due (Vinci).