Ce qui menace la transition énergétique…

Les énergies renouvelables vont jouer un rôle crucial dans le processus de décarbonation de l’économie européenne.

Si la production d’énergie renouvelable se nourrit de sources naturelles comme le vent ou le soleil, elle requiert toutefois l’installation de transformateurs pour convertir l’énergie produite en électricité dont la construction est fortement consommatrice de métaux.
Par exemple, la fabrication d’une éolienne exige entre 950 kilos et 5 tonnes de cuivre en fonction de son gabarit. Pour un panneau solaire, 5 grammes d'argent sont nécessaires à son élaboration. Si la quantité d’argent intégrée dans chaque panneau peut sembler minime, la production de panneaux solaires n’a cessé de progresser au fil des années. Quasi inexistante dans la consommation mondiale d’argent il y a 10 ans, l’industrie solaire a représenté 13% de ce marché en 2020. Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), la demande de métaux critiques va être multipliée par sept sur les 10 prochaines années pour respecter les objectifs fixés par l’Accord de Paris. Ainsi, la demande sur l’argent devrait par exemple continuer de croître de manière exponentielle...

D’une dépendance à une autre ?

L’AIE a récemment publié un rapport intitulé « Net Zero by 2050, A Roadmap for the Global Energy Sector » dans lequel elle alerte sur l’explosion de la demande en métaux qui va accompagner la transition énergétique. Dans son scénario, elle annonce des chiffres qui donnent le tournis, notamment sur la demande de lithium qui devrait être multipliée par 42 d’ici à 2040…

La transition énergétique engagée pour s’affranchir des énergies fossiles (pétrole, gaz) est en train de provoquer une nouvelle dépendance aux métaux.

La dépendance aux métaux génère des complications sur le plan géopolitique.

Depuis le début des années 2000, la Chine a passé des accords bilatéraux avec de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique du Sud afin de sécuriser ses approvisionnements en métaux.

Une problématique culturelle
Rares sont les pays où les hauts dirigeants sont issus de formation d’ingénieur ou scientifiques et pourtant, ce type de culture est indispensable pour aborder certaines problématiques. La Chine en fait partie avec un gouvernement composé à 90% d’ingénieurs dont son président Xi Jinping, diplômé de géologie.
L’Europe et les pays développés ont pris un peu de retard à ce niveau-là puisque leurs gouvernements sont essentiellement constitués de technocrates. En France, Valéry Giscard d'Estaing a été le dernier président avec un bagage d’ingénieur en 1974.

Vers une réorientation de la diplomatie et des relations internationales

Les pays producteurs de métaux sont différents de ceux qui exploitent le pétrole.

La diplomatie et les relations internationales tissées depuis de nombreuses années autour des énergies fossiles, notamment avec les pays du Golfe sur la question du pétrole, vont devoir être repensées et réorientées vers les zones clé de la production de métaux : l’Amérique du Sud (Chili, Pérou) pour le cuivre et l’argent, l’Afrique du Sud pour le platine ou encore la République Démocratique du Congo qui couvre 65% des réserves mondiales de cobalt.
La Chine va également jouer un rôle majeur dans cette nouvelle économie des métaux car outre son quasi-monopole sur la production de terres rares, elle s’est spécialisée sur les différents processus de raffinage. Le pays représente aujourd’hui entre 70% et 75% du raffinage mondial de cobalt.

Quid de l’acceptabilité sociale ?

Les modèles de société vont devoir se transformer pour respecter l’Accord de Paris dont l’objectif est de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré en 2100. L'AIE est consciente que les changements qu’elles préconisent dans son rapport pour y parvenir sont colossaux. Elle y stipule par exemple les fortes contraintes que pourraient rencontrer la population dans ses usages à compter de 2030 : interdiction de chauffer une maison/appartement à plus de 20 degrés en hiver et de la refroidir en-dessous de 24 degrés l’été, vitesse limitée à 100 km/h sur les routes, limitation de la température dans les ballons d’eau chaude…

Certaines énergies renouvelables sont connues depuis très longtemps et ont été abandonnées au profit des énergies fossiles (pétrole) pour des raisons de coûts et de facilités d’utilisation. Aujourd’hui, faire machine arrière s’avère plus aisé au vu des progrès technologiques et bien moins onéreux mais cela implique un réel bouleversement dans le mode de vie de la population. Il va donc falloir lui faire accepter ce phénomène…

La transition énergétique va-t-elle faire face à une pénurie de métaux ?

Disponibilité des métaux
Le gros avantage des métaux est qu’une fois consommés, ils ne disparaissent pas, contrairement au pétrole. Présents dans bon nombre d’objets électroniques ou autres qui ne sont plus exploités, ils constituent des gisements appelés « mines urbaines ». En France, entre 80 et 100 millions de téléphones dorment dans des tiroirs alors qu’ils pourraient être recyclés.
Le recyclage et la réutilisation des minéraux est un sujet à développer pour répondre à cette hausse de la demande.

Sur le plan de la disponibilité globale, l’IFP Énergies Nouvelles (successeur de l'Institut français du pétrole) met en garde sur le possible épuisement des réserves de cuivre et de nickel à l’horizon 2050, une problématique qui pourrait être contrebalancée par un approvisionnement accru mais là encore ça coince… L’augmentation de la production de métaux implique de lourds investissements. Richard Adkerson, patron de Freeport-McMoRan, l'un des principaux producteurs mondiaux de cuivre, s’est exprimé à ce sujet en expliquant que si le prix du cuivre, à 4,50 dollars la livre aujourd’hui, passait demain à 10 dollars la livre, 7 à 8 ans lui seraient nécessaires pour augmenter sa production et ainsi proposer davantage de cuivre à ses clients. Un véritable goulet d'étranglement compte tenu des préconisations de l’AIE qui consistent à multiplier par sept la consommation de métaux sur les 10 prochaines années…

La transition énergétique exige une meilleure appréhension des risques relatifs à la question des métaux

La criticité des métaux est devenue un sujet très prégnant dont se sont emparées la Banque Mondiale et l’AIE pour aider les gouvernements à mieux comprendre en quoi la transition énergétique aura un impact sur la demande future de minéraux.

Les deux solutions face à l’essor de la demande de métaux sont la sobriété, c’est-à-dire apprendre à faire autant avec moins pour diminuer la quantité de métaux utilisée et le recyclage.
A côté de cela, il va sans doute falloir tenter de redévelopper et de redynamiser l’exploration minière, en tenant compte des critères environnementaux pour qu’elle soit réalisée le plus « proprement » possible afin de protéger au mieux la biodiversité. Des travaux sont menés en ce sens notamment en Alsace où une expérience récente a couplé la géothermie avec de la récupération de lithium. En ce sens, Guillaume Pitron, journaliste français, spécialiste de la géopolitique des matières premières, a publié un livre d’enquête en 2018 intitulé « La guerre des métaux rares » dans lequel il défend l’idée de rouvrir des mines en Europe et d’accompagner cette démarche par le développement du recyclage pour utiliser les métaux dont on dispose sur notre territoire et ainsi s’assurer une certaine indépendance énergétique.

Les Etats-Unis réouvrent la voie sur les terres dites « rares ».

Les américains viennent de relancer la mine de Mountain Pass (Californie) pour des raisons stratégiques. En effet, les aimants que l’on retrouve sur leurs avions de combat sont développés à partir des propriétés magnétiques des terres rares en provenance de Chine. Pour des questions de sécurité nationale et afin de palier tout espionnage, ils ont donc pris la décision de redévelopper des mines sur leur territoire pour exploiter ces terres rares.

L’Europe est en retard alors que la Chine a déjà mis en place les réseaux nécessaires pour commencer ce que l’on pourrait appeler la « diplomatie des métaux ».